JLAR  1999

 

 

 

Sommaire

 

SDRA

Syndrome de détresse respiratoire aiguë:
rôle des facteurs génétiques

Auteurs : M. Lamy, G. Deby-Dupont

Service d'Anesthésie-Réanimation, Centre Hospitalier Universitaire, Université de Liège, B35, Sart Tilman, 4000 Liège, Belgique

 

Résumé

Chez les patients de Soins Intensifs, la réponse physiologique consécutive aux traumatismes peut dépasser les besoins de défense et devenir incontrôlée, entraînant une dispersion et une généralisation de la réaction inflammatoire avec des réactions en cascade qui conduisent au développement du syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), à la réponse inflammatoire systémique et à la défaillance multiorganique.

L'intensité de la réponse est liée à la nature et à la gravité de l'agression primitive, mais aussi aux facteurs prédisposants présents chez le patient. Certains facteurs génétiques font actuellement l'objet d'un grand nombre d'études. La production des cytokines est un mécanisme de défense essentiel, mais souvent responsable d'une réponse inflammatoire excessive. Toutes les approches thérapeutiques visant à bloquer ou à limiter la réponse par production de cytokines ont échoué. De ces essais infructeux est appparue la notion d'une réponse individuelle variable liée au polymorphisme des gènes qui codent pour les cytokines, polymorphisme qui est particulièrement étudié pour les chromosomes codant pour le TNFa et l'Il-1 au niveau des régions codantes (expression de la protéine) et non codantes (région du promoteur et des régulateurs).

Les gènes TNFA et TNFB codant respectivement pour le TNF-a et la lymphotoxine-a (LT-a ou TNF-b) sont situés dans la région du complexe majeur d'histocompatibilité de classe III sur le chromosome 6. De nombreux sites polymorphiques ont été identifiés dans et aux environs des gènes des TNF-a et b, et notamment la présence de microsatellites (1). Les études actuelles portent essentiellement sur des polymorphismes simples comme la substitution au niveau d'une paire de bases située à la position -308 au niveau de la séquence du promoteur du TNFA ou située dans le premier intron du TNFB. Le polymorphisme -308 du TNFA comprend 2 allèles (TNF1 et TNF2) dont le moins fréquent (TNF2) serait associé à une expression accrue de TNF-a. Les résultats obtenus in vitro restent cependant discutés (2,3,4). Sur base de travaux récents, il semble que l'allèle TNF2 soit associé à une production plus élevée de TNF-a (5) et que les monocytes humains isolés et stimulés par l'endotoxine produisent moins de TNF-a lorsqu'ils proviennent de sujets homozygotes TNF1/TNF1 par comparaison avec les monocytes de sujets hétérozygotes TNF1/TNF2 (4). In vivo, la présence du type homozygote TNF2/TNF2 est associée à une mortalité plus élevée dans la malaria et la leishmaniose (6,7). Le polymorphisme biallélique du TNFB est situé dans une région distincte du gène codant pour le TNFa, mais est cependant associé à une variation dans l'expression du TNFa. D'études in vitro et in vivo, il apparaît que le génotype TNFB2/TNFB2 produit davantage de TNFa que le type TNFB1/TNFB1, par un mécanisme qui reste inconnu. Chez les patients infectés, homozygotes pour l'allèle TNFB2, on observe des taux plus élevés en TNF-a circulant, associés à une augmentation de la défaillance multisystémique et de la mortalité, par rapport aux patients hétérozygotes (TNFB1/TNFB2) (8).

La famille des gènes de l'Il-1 comprend trois gènes IL-1A, Il-1B et IL-1RN codant pour l'IL-1a, l'Il-1b et l'antagoniste du récepteur à l'IL-1 (IL-1ra) (9). Ces gènes sont localisés sur le chromosome 2 et possèdent des sites polymorphiques. Certains de ces sites polymorphiques ont été associés à des maladies inflammatoires comme la colite ulcéreuse. Des allèles spécifiques ont été associé à des productions différentes d'IL-1b et d'IL-1ra in vitro et in vivo (10). On a ainsi identifié un polymorphisme de l'IL-1B au niveau d'une paire de bases en position +3953, associé à une production quadruple d'IL-1b in vitro (11).

Ces arguments plaident pour l'association d'une variation génétique avec le développement d'une maladie lorsque la présence d'allèles est liée à une variation de la production des cytokines. Les résultats obtenus jusqu'à présent sont cependant à prendre avec prudence et à mettre en relation avec la présence d'autres cytokines, notamment la cytokine anti-inflammatoire IL-10. Une étude de 1997 a montré que la combinaison héréditaire d'une production basse en TNF-a et élevée en IL-10 s'accompagnait d'un risque plus élevé d'issue fatale dans la méningite à méningocoque (12). Cette observation présente un intérêt particulier depuis que l'existence d'un polymorphisme du gène codant pour l'IL-10 a été démontrée (13). Il faut donc rester prudent dans l'interprétation des résultats associant le polymorphisme des gènes et la production des cytokines et ne pas oublier que la mesure des concentrations en cytokines est influencée par le site, le moment et la méthode de prélèvement.

D'autres polymorphismes génétiques existent et sont actuellement en cours d'étude. On connaît un polymorphisme du gène codant pour l'enzyme de conversion de l'angiotensine, basé sur la présence ou l'absence de 287 paires de bases et correspondant à la production abaissée ou augmentée de l'enzyme (14). Ce polymorphisme pourrait avoir une incidence sur la survie chez des patients en SDRA, en amenant une résistance cardiaque génétiquement variable. On connaît également une variabilité individuelle dans la résistance aux endotoxines qui explique l'absence de relation entre les taux plasmatiques et l'évolution clinique observée chez certains patients (15). Ici aussi, on soupçonne une variation génétique dans l'expression des récepteurs cellulaires aux endotoxines, mais cette hypothèse reste à démontrer. On envisage également la possibilité de variations génétiques individuelles dans l'expression par le neutrophile des molécules d'adhésion de type L-sélectine, une faible expression correspondant à un risque réduit de développment du SDRA (16).

Pour expliquer la variabilité de la réponse chez des patients à risques équivalents de développer un SDRA, on peut envisager encore bien d'autres facteurs génétiques. Citons à titre d'exemple, une variabilité génétique dans l'expression des récepteurs et des activateurs de la transduction du signal cellulaire conduisant à la synthèse de médiateurs inflammatoires, tout comme une variabilité dans l'expression des enzymes de défense antioxydante comme la superoxyde dismutase ou la glutathion peroxydase. Ces aspects des recherches génétiques restent à développer. Par contre, on peut envisager pour un avenir proche la recherche du polymorphisme des gènes codant pour certaines cytokines chez les patients à risque de développer un SDRA, et par là, une meilleure identification des patients qui pourraient bénéficier d'une thérapeutique par des antagonistes spécifiques des cytokines.


Bibliographie

1. Nedopasov S, Udalova I, Kuprash D, Turetskaya R (1991) DNA sequence polymorphism at the human tumor necrosis factor (TNF) locus. Numerous TNF/Lymphotoxin alleles tagged by two closely linked microsatellites in the upstream region of the lymphotoxin (TNF-b) gene. J Immunol 147: 1053-1059.
2. Stüber F, Udalova I, Book M et al (1996) -308 tumour necrosis factor (TNF) is not associated with survival in severe sepsis and is unrelated to lipopolysaccharide inducibility of the human TNF promoter. J Inflamm 46: 42-50.
3. Brinkman B, Zuijdgeest D, Kaijzel E et al (1996) Relevance of tumor necrosis factor alpha (TNFa) - 308 promotor polymorphism in TNFa gene regulation. J Inflamm 46: 32-41.
4. Louis E, Franchimont D, Piron A et al (1998) Tumour necrosis factor (TNF) gene polymorphism influences TNF-a production in lipopolysaccharide (LPS)-stimulated whole blood cell culture in healthy humans. Clin Exp Immunol 113: 401-406.
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7. Cabrera M, Shaw M, Sharples C et al (1995) Polymorphism in tumor necrosis factor genes associcated with mucocutaneous leishmaniasis. J Exp Med 182: 1259-1264
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9. Nicklin M, Weith A, Duff G (1994) A physical map of the region encompassing the human interleukin 1-a, interleukin 1-b and interleukin-1 receptor antagonist genes. Genomics 19: 382-384.
10. Santtila S, Savinainen K, Hurme M (1998) Presence of the IL-1RA allele 2 (IL1RN*2) is associated with enhanced IL-1B production in vitro. Scand J Immunol 47: 195-198.
11. Bernal W, Donaldson P, Wendon J (1999) Pro-inflammatory cytokine genomic polymorphism and critical illness. In JL Vincent ed. Yearbook of Intensive Care and Emergency Medicine, Springer, Berlin, pp. 10-18
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15. Bennett-Guerrero E, Ayuso L, Hamilton-Davies C et al (1997) Relationship of preoperative anti-endotoxin core antibodies and adverse outcomes following cardiac surgery. JAMA 277: 646-650.
16. Gallacher T, Manji M, Blyden S et al (1997) Presurgery L-selectins are associated with subsequent complications in elective œsophagectomy patients. Intensive Care Med 23: S33 (Abst).